Saturday, September 23, 2006

La nausée

Drôle de pays, drôle de coutumes, des masses se rassemblent autour d’un harangueur, suspendues à ses lèvres, acceptant sans questionnement ni doutes son discours, sa vision du monde, comme s’il détenait une vérité ignorée de tous, comme s’il était capable de penser pour des milliers de personnes, responsable de leur vie, de leur destin, de leur bonheur.
Je ne sais pourquoi, j’ai toujours eu la méfiance des foules, des slogans déclamés en chœur, la foule compact où seul le nombre compte, la foule qui réagit comme une seule personne, où l’individu n’est rien sans ceux qui l’entourent, juste une unité de l’ensemble, juste un écho de la pensée d’un leader charismatique qui sera suivi quoiqu’il dise, qui sera acclamé quoiqu’il fasse.
Faute de véritable démocratie, les rassemblements de ce genre se suivent au Liban, 14 février, 8 mars, 14 mars, 22 septembre, nos hommes politiques cherchent une légitimité dans la rue, une légitimité contre quelque chose, jamais pour construire, toujours pour s’affirmer face aux autres, ces adversaires qui partagent la même terre, le même destin, les mêmes guerres mais qu’on ne tolère pas, qu’on accuse de traîtrise et de corruption.
Pas de dialogue, pas de débats, pas de projets, des manifestations encore et toujours, une logique de guerre, il faut étaler sa force dans ces référendums « live », lever ces drapeaux tantôt rouges, tantôt blancs, tantôt jaunes, tantôt oranges. Jamais des couleurs n’auront pris autant d’importance dans la vie politique d’un pays, jamais le marketing idéologique n’a pris ces proportions, afficher l’image choc, lancer le slogan percutant pour exciter cette fibre partisane enfouie quelque part en chacun de nous, ces phrases qui donnent la chair de poule, ces tirades qui enivrent plus par l’intelligence de leurs tournures, que par les idées vides de sens qu’elles véhiculent.
Si au moins il n’y avait pas de l’hypocrisie ! On nous casse les oreilles avec l’unité nationale, le patriotisme, le nationalisme, la solidarité, pour qu’ensuite chaque faction se retranche dans sa région, avec son peuple, sa communauté, ses rites, ses dirigeants féodaux, sa politique propre. Un jour la banlieue sud, l’autre Harissa , quand finirons-nous avec ces voitures bruyantes, qui parcourent les rues, ne sachant où aller, dans lesquelles s’entassent des dizaines de personnes avec leurs emblèmes, leurs photos, leurs idéologies extrémistes… j’ai parfois la nausée en les voyant défiler devant moi, ce sentiment absurde presque nihiliste que rien n’a de sens, malgré leur différence et la haine des uns envers les autres, je n’arrive plus à reconnaître le camp auquel ils appartiennent, les motivations qui les poussent à défendre d’un même élan une pensée commune au groupe, sinon totalement rétrograde du moins inapplicable.
J’ai parfois la nausée, je n’y peux rien, c’est physique…

Sunday, September 17, 2006

L'oubli (à lebnaniyeh par coïncidence)

Il me semble effectivement que rien n'arrive par coïncidence dans la vie, sauf la vie elle même (la naissance presque accidentelle), tout est question de choix n'en déplaise aux fatalistes.
Très émouvant le texte que tu as déposé dans mon blog, je pense totalement comme toi, les situations que tu as décrites sont aussi gravées quelque part dans ma mémoire, elles reviennent par moments m'interpeller, quand et pourquoi? Je ne sais pas. Malheuresement l'enfant de 1 jour sera oublié quoi qu'on dise, il sera l’histoire triste et sinistre d’un jour de la guerre, un exemple de la barbarie humaine, rien de plus. Pour lui il n'y a eu ni victoire ni défaite, juste un deuxième choc après la chute de l'accouchement, pour lui il n'y a eu ni cause ni résistance, juste un petit souffle rapide venu du ciel pour le prendre de la vie vers la mort, pour l'ensevelir à jamais dans cette terre que tu as choisi par coïncidence, qui a brûlé un dimanche matin pendant que je dormais tranquillement dans mon lit. Comment ne pas culpabiliser Pourtant j’oubli.
Je me rappelle encore il y a plus de 15 ans, le jour de la veillée de noël, une petite fille mourrait accidentellement, une balle perdue (pas pour elle), ils avaient passé l'information rapidement au journal de 20 heures, comme un vulgaire fait divers. Qui se souvient d'elle? Que sait-on de ses jeux? Quelle aurait été sa vie? Je ne sais pas pourquoi ce sont ces petites histoires individuelles qui me touchent le plus dans le cycle de la violence qui s'est abattu sur nous. Peut-être, parce que mon seul moyen d'appréhender le monde est égocentrique, je sens pour cette fille, pas pour une faction contre une autre, pas pour une armée contre une autre, pas pour une idéologie contre une autre, je sens son instinct de survie, son effroi, le sang qui coule comme une larme discrète et silencieuse pour rejoindre le flot des disparus anonymes, je sens son apaisement du dernier instant lorsque tout s’arrête. Mais je me dis que je la rejoindrai un jour dans la solitude de la mort et qu’on m'oubliera aussi, justice sera faite, l’oubli est ma seule consolation.

Thursday, September 14, 2006

Les morts

13 avril 1975, date officielle de la guerre du Liban, le pays sombre dans la violence et le chaos, les amis ne se reconnaissent plus, au nom d’une cause, je ne sais plus très bien laquelle. Le décompte macabre commence dès les premiers jours, très vite le nombre des victimes se chiffre en milliers de personnes, les morts anonymes, ceux qui ne comprenaient pas, pris au dépourvus entre 2 feus, en allant au travail, au pas de leur porte, dans leur bain, ceux qu’on appellera plus tard, martyrs de la guerre. Ceux-là, on les oublia, parti pour rien, au hasard des tirs, à cause de leurs idées de leurs croyances, de leur insouciance.
Mais il est des morts qu’on n’efface pas des mémoires, qui continuent de nous hanter chaque année comme si le temps s’était arrêté avec leur disparition, mythe chrétien de la résurrection ou nostalgie malsaine, comment qualifier un phénomène qui nous offre le spectacle sinistre de ces photos jaunis par les années, placardés sur les murs des petites rues du pays. Chacun y va de son idole, celui qui aurait pu sauver la nation de la déchéance, le héros de la guerre, l’icône des jeunes, l’irremplaçable, le garant des libertés. On les nomme dans les discours aux accents poétiques, on se fait leurs portes paroles, on revendique leurs descendances, on défend leurs idées obsolètes, ils sont notre conscience.
Dans l’une de ses meilleures œuvres, « La Chambre Verte », François Truffaut incarnait un personnage qui refusait la mort au point de ne plus vouloir vivre avec les vivants, il ornait sa maison des portraits de tous ceux de son entourage décédés, vouait un culte à ces centaines de disparus refusant de les effacé de sa mémoire. Mais la névrose de Truffaut relevait d’un questionnement existentiel, comment accepter ce que l’on ignore, cette expérience individuelle qui nous projette dans l’inconnu et qui laisse dans son sillage les orphelins d’un amour.
La culture de la mort au Liban est tout autre, elle est démagogie, elle est provocation, elle est refus de l’instant présent, elle est l’occasion de brandir des drapeaux symboles du morcellement du pays, elle est fanatisme. De ces cérémonies commémoratives annuelles, je ne dégage aucune émotion, juste de la haine, des propos bassement politiques, des intentions sournoises et des foules revanchardes.
Il faut honorer les morts pour ce qu’ils sont, des histoires, un lien avec le passé, le souvenir d’un jour heureux, un sourire, des souffrances. Ils n’existent plus, ils ne pensent plus, laissez-les reposer en paix, occupez-vous de ceux qui restent !

Sunday, September 10, 2006

Les Salauds (expression de Sartre)

Bientôt la commémoration des attentats du 11 septembre, blessure profonde des Etats-Unis du XXI ème siècle, plaie ouverte qui s’étend par ces conséquences sur le monde entier en particulier le moyen orient, et sous couvert de lutte contre l’intégrisme début d’une croisade sanglante sur l’Islam sous toutes ses formes modérées ou fanatiques.
Meilleurs présent n’aurait pu être offert par la nébuleuse Al quaïda aux Etats-Unis puritaines et mercantiles de Bush fils qui a réussit par une sorte de transcendance oedipienne, ce que le paternel tenta d’exécuter sans succès une décade plus tôt.
Effriter le Moyen Orient afin de créer un nouveau monde univoque à l’image de la démocratie florissante de l’Amérique du nord, un monde globalisé où seule une civilisation serait admise, une seule culture propagée celle de Hollywood, une seule langue parlée, l’anglais. Si ce n’est pas une forme masquée de l’eugénisme imaginé par quelques philosophes et rêvé par Hitler, ça y ressemble fortement non pas dans la manière mais plutôt dans l’idée, idée d’unicité, refus de la différence par crainte de la terreur, hégémonie économique, prééminence sadienne du plus fort sur la masse des faibles, les palestiniens dispersés et persécutés plus que jamais, l’Iraq en pleine guerre de religion, le Liban sous la menace d’Israël qui malgré sa supposée défaite sur le Hezbollah dicte sa loi sans le moindre scrupule et contrôle à travers l’ONU les frontières du Liban. Et l’on nous parle d’un monde pacifié, dépourvu des conflits qui déchirent les Hommes, libéré de la haine, de la peur et de la culture de la mort, lorsque tous les éléments générateurs de la violence sont omniprésents partout, en particulier au Moyen Orient, le fanatisme, la course au nucléaire, l’idéologie raciale et xénophobe. Chaque camp perçoit l’autre comme le mal incarné, le suppôt de Satan, le diffuseur de la souffrance et aucune concession ne semble convenir aux nostalgiques de l’inquisition d’une part et aux intégristes islamistes d’autres part. Entre ces deux parties adverses, les « laissés pour comptes », les esprits libres tentent de se frayer un chemin de traverse sans réussir fautes de pouvoir, de volonté ou de politique de substitution.
L’échec cuisant du communisme, des philosophies existentialistes ou humanistes donne libre court aux extrémismes de tous les bords sans qu’aucune autre alternative ne soit encore envisagée. Des mouvements alter mondialistes gauchisants se propagent un peu partout, mais ne convainquent pas puisqu’ils s’apparentent plus à de la provocation médiatiques (à l’instar de Bové et de Moore), qu’à une authentique révolution éthique, pacifiste, humaine et réalisable sur le terrain. Pourtant l’Histoire regorge d’exemples de ce type de bouleversements sociaux, Gandhi en Inde, la révolution des œillets au Portugal…
N’est-il pas possible de mettre en place cette forme de lutte contre la cruauté des pouvoirs en place ? En tous cas j’ai l’utopie d’y croire, sinon à quoi bon continuer ?

Tuesday, September 05, 2006

Le féodalisme moderne

Encore une fois le Liban à la merci de la communauté internationale, depuis plus d’un mois tout un peuple espère l’arrivée de quelques milliers de soldats pour reprendre le cours normal de la vie. En attendant, l’impression d’être dans une situation de ni guerre, ni paix sape le moral de la population, et si Israël a suspendu les hostilités au sud elle poursuit en toute impunité son blocus maritime et aérien et conserve ses positions dans plusieurs villages du territoire Libanais.
Drôle de victoire pour la drôle de guerre, un vainqueur sinistré, moribond ne sachant où donner de la tête pour remonter la pente économique, un vaincu qui pose les conditions de sa défaite. Mais peu importe puisque l’unité nationale prime sur tout le reste nous dit-on, mais de quelle unité est-il question ? Celle d’un peuple normalement solidaire face à l’ennemi, ou celle des politiciens du dialogue qui s’est tenu quelques temps avant le début de l’offensive Israélienne ? Dans notre démocratie consensuelle version moderne du féodalisme du XIX ème siècle, il me semble que le peuple n’a jamais eu voix au chapitre des décisions, il assiste et râle, subit et reconstruit, pour le reste il fait confiance aux vertus de la table de dialogue seule garante de la paix civile. Une vingtaine de politiciens représentant chacun une faction, un pouvoir, s’embrassant à tout va pour mieux se mordre, détiennent les cartes d’un jeu politique qui les dépasse entièrement. Aucune entente derrière les sourires hypocrites de ce jeu de dupe, juste une cordialité de façade. Les mêmes personnes au pouvoir (ou leurs progénitures), des situations semblables depuis un demi siècle, comment dans ces conditions les choses peuvent-elles encore évoluer ? Quand je pense que pendant tous ce temps l’unique aboutissement de la guerre du Liban a été le piètre accord de Taëf à moitié appliqué, un accord qui a subdivisé le pouvoir et bloqué toute action de l’exécutif, un accord auquel toute la classe politique se réfère mais qui sur le terrain est bafoué à tous les niveaux.
J’ai rêvé d’un pays où les débats d’idées seraient la force motrice du fonctionnement de l’état, où toutes les forces se rangeraient derrière un seul commandement légitime et républicain, où les responsables auraient des comptes à rendre au peuple, au lieu de cela une poignée de députés que le monde entier dénigre, se livrent sous le feu des caméras, à une mascarade grotesque au parlement. Mais malheureusement le ridicule ne tue pas.